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Les hommes à la défense, les femmes aux affaires sociales ? Ce que les citoyens pensent des atouts des hommes et des femmes en politique

Nathalie Giger, Zoe Lefkofridi
6th November 2019

Si le débat sur l’égalité des sexes s’est à nouveau intensifié en politique, ce n’est pas seulement suite à la grève des femmes du 14 juin 2019. Qu'en est-il en fait de l’égalité des sexes en Suisse ? Que pensent les citoyens des qualités et des atouts des femmes et des hommes en politique ? Le présent article cherche à mettre en lumière la façon dont sont perçus les hommes et les femmes politiques.

Indépendant de tout parti, le projet "Helvetia appelle" s’est donné pour objectif d’envoyer davantage de femmes à Berne pour les élections nationales de cet automne et a récemment constaté qu'il y avait effectivement davantage de candidates sur les listes – soit en moyenne environ 39 %. Mais cela n’occulte pas le fait que, même après les élections d’automne, les femmes seront sous-représentées au Parlement, compte tenu de leur part à la population totale. 

Alors, à quel écueil se heurte l’égalité des femmes en politique ? L’une des raisons évoquées dans les publications sur le sujet serait la persistance de préjugés qualifiés de "stéréotypes politiques de genre" à l’égard des femmes politiques. Se rapportant à des traits de caractère – les femmes politiques sont jugées plus sensibles alors que leurs collègues masculins auraient davantage d’esprit de décision et sauraient mieux s’imposer – ces préjugés font que, sur le plan politique, certains domaines de compétence sont assignés aux hommes et aux femmes uniquement en fonction des traits caractéristiques attribués à leur genre : les femmes politiques seraient, par exemple, moins aptes à agir dans le domaine de la défense nationale, tandis qu'on estime que les hommes ne sont pas vraiment à leur place dans celui de la politique sociale.

Ces préjugés sont problématiques dans la mesure où les qualités et traits de carac­tère importants pour la politique sont plutôt attribués aux hommes. Il peut donc s’ensuivre que les femmes soient jugées moins aptes à exercer une activité politique.

Base de données
Pour mener notre recherche à ce sujet, nous avons effectué des enquêtes d’opinion en Suisse, en Autriche et en Finlande. L’enquête suisse faisait partie de l’étude électorale suisse (SELECTS) de 2015 et les données autrichiennes ont été relevées en 2018 par la plate-forme de méthodes d’enquêtes et d’analyses empiriques (PUMA). L’enquête finlandaise  (TNS Gallup Nr. 220102032) a eu lieu dans le contexte de l’élection présidentielle de 2012 ; elle a été effectuée par nos soins, en collaboration avec Mmes Anne Maria Holli et Hanna Wass, du corps professoral de l’Université d’Helsinki. Les enquêtes représentatives ont toutes été effectuées entre 2012 et 2018 ; elles sont ainsi sensiblement comparables en ce qui concerne le niveau des préjugés.

Les résultats de notre étude, qui analyse pour la première fois de tels préjugés dans des pays européens, montrent clairement que ni les Suisses, ni les Autrichiens, ni les Finlandais –hommes ou femmes – ne sont exempts de stéréotypes de genre. Environ un tiers des personnes interrogées indiquent que les hommes et les femmes sont dotés de certains traits de caractère qui correspondent à des champs de compétence spécifiques. Aux femmes sont attribuées des qualités d’empathie et de conciliation, tandis que les hommes sont plutôt perçus comme ambitieux et déterminés.

Graphique 1 : Champs de compétence

Graphique 2 : Traits de caractère

Source : Selects (2016). Panel / Rolling cross-section study 2015 [Dataset]. Distributed by FORS, Lausanne. www.selects.ch

En Suisse, un peu plus du tiers des personnes interrogées pensent que les hommes sont plus aptes que les femmes à assumer les charges politiques de la défense nationale. Inversement, un tiers (31,1 %) estiment que les femmes sont plus compétentes dans le domaine de la politique sociale. En matière de politique migratoire, en revanche, on n’observe aucune tendance claire qui soit liée au genre.

Quant aux questions portant sur les traits de caractère, l’image est similaire : on attribue aux femmes des qualités qui sont plutôt de l’ordre de l’empathie et de la conciliation, et aux hommes plutôt de l’ordre de l’ambition et de l’esprit de décision.

La bonne nouvelle est que, face à chacune des questions posées, une forte proportion – entre 41 % et 77 % – des personnes interrogées en Suisse ont décidé de répondre "il n’y a aucune différence", c.-à-d. n’ont fait montre d’aucun préjugé sexiste.

Les résultats constatés en Suisse corroborent ceux déjà mis en évidence par des chercheurs américains concernant les États-Unis et confirment les stéréotypes tels qu'ils existent égale­ment dans la mentalité autrichienne et finlandaise. Notre étude comparative, que nous avons présentée début juillet 2019 à Amsterdam, lors de la "European Conference on Politics & Gender", montre que, même dans un pays aussi favorable à l’égalité des sexes que l’est la Finlande, les clichés sexistes n’ont pas complètement disparu de l’esprit des gens. En Autriche, par contre, on constate que les préjugés à l’égard des femmes et des hommes en politique sont approximativement les mêmes qu'en Suisse ; sur certaines questions, toutefois, les répondants qui admettent avoir de tels préjugés sont un peu plus nombreux qu'en Suisse. Notre étude montre en outre que ce sont surtout les hommes d’esprit conservateur qui cultivent dans la vie politique les préjugés concernant les hommes et les femmes.

Les stéréotypes de genre à l’égard des femmes et des hommes en politique subsistent donc et sont toujours bien enracinés dans les têtes des Suissesses et des Suisses. S’il est difficile d’établir un lien direct avec la sous-représentation des femmes dans la vie politique suisse –étant donné que nous n’avons pas examiné par quels effets les préjugés se traduisent dans le comportement électoral – on peut néanmoins conclure que les femmes et les hommes, en politique, sont perçus de façon différente. Le fait que les hommes sont jugés mieux dotés de certains traits de caractère importants pour la politique, par exemple l’attribu­tion de compé­tences, constitue un obstacle pour les femmes qui veulent exercer une activité politique. Espérons que le nouvel élan amorcé sur les questions de représentation féminine parviendra à balayer ces préjugés de manière définitive.


Photo: Helvetia appelle