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Droite populiste et pandémie Covid-19 en région transfrontalière, un terreau fertile pour une (re)légitimation des frontières ?

Grégoire Yerly
3rd June 2022

Appréhender le discours et les schémas argumentatifs des partis populistes de droite est essentiel afin de déconstruire la normalisation et la légitimation de leurs politiques d’exclusion (Wodak, 2015).

La pandémie Covid-19 a été synonyme d’instabilité en termes sociétaux et politiques. En effet, et notamment en raison de la fermeture partielle des frontières au niveau européen durant la première vague de la pandémie, ce contexte de crise a représenté une opportunité pour les partis populistes de droite de se mobiliser contre les flux transnationaux et migratoires, et de mener un discours de (re)légitimation des frontières. De manière générale, les partis populistes de droite se positionnent idéologiquement contre l’immigration en la dépeignant comme un danger pour l’identité et la cohésion politique et culturelle nationale. Par conséquent, leur discours nativiste permet entre autres de (re)légitimer la frontière comme un outil de défense et d’exclusion face aux menaces extérieures (Norris et Inglehart, 2019). Le but de cette recherche est de mieux comprendre comment les partis populistes de droite ont bénéficié de ce contexte de crise, à savoir de la fermeture partielle des frontières et de leur contrôle assidu, afin de renforcer leur rhétorique anti-migratoire et axée sur la (re)légitimation des frontières dans une région transfrontalière.

Mais pourquoi une région transfrontalière ?

Les régions transfrontalières représentent des territoires privilégiés pour l’étude du discours d’exclusion des partis populistes de droite puisqu’elles incarnent des espaces d’échange prolifiques si l’on considère les intenses flux de personnes, de biens, de capitaux et de services qui s’y opèrent (Jensen et Richardson, 2004). En effet, la proximité géographique des régions frontalières avec l’objet de la frontière-même lui confère une symbolisation spécifique en tant qu’elle est directement perceptible (matériellement et symboliquement) dans le quotidien des pratiques politiques, culturelles et sociales (Konrad et al., 2018).

La région transfrontalière de Genève est particulièrement touchée par des flux et des échanges transfrontaliers, notamment en ce qui concerne les secteurs du social et de la santé. Elle représente par ailleurs la région transfrontalière avec le plus haut taux de flux transfrontaliers en Suisse (OFS, 2021). A titre d’exemple, 63% du corps médical des HUG était représenté par des travailleurs frontaliers venant de France à la fin 2017 (OTPS, 2019).

En outre, deux partis populistes de droite possédant une force politique substantielle opèrent au sein de cette région : la section cantonale de l’UDC genevoise (Union Démocratique du Centre) ainsi que le MCG (Mouvement Citoyens Genevois). Ces deux partis se révèlent être particulièrement intéressants à étudier en raison de leurs fortes positions anti-migratoire et anti-frontalière.

Quels schémas argumentatifs et quelles conclusions ?

L’analyse a été réalisée sur le discours concernant l’immigration et les frontières mené par ces deux partis au sein de trois périodes distinctes : 1. L’arrivée de la pandémie (1er janvier au 12 mars 2020), 2. La fermeture partielle des frontières (13 mars au 15 juin 2020), 3. La réouverture des frontières (15 juin au 31 août 2020). Cette distinction temporelle a été utile afin de percevoir l’évolution des schémas argumentatifs justifiant une (re)légitimation des frontières.

En premier lieu, les résultats montrent que le contexte de la pandémie Covid-19 a représenté un terreau fertile pour les partis populistes de droite dans une (re)légitimation de la frontière en tant qu’objet de protection et de défense de l’intérêt public. La première phase a été mobilisée afin de mener un discours axé sur la nécessité de la fermeture des frontières, la deuxième a souligné les vertus de cette fermeture et la troisième les dangers relatifs à leur réouverture.

Le premier constat est que, contrairement à de précédentes études soulignant l’ambivalence et l’ambiguïté du discours des partis populistes de droite qui légitimerait tour à tour l’ouverture et la fermeture des frontières selon des opportunités contextuelles (Biancalana et Mazzoleni, 2020; Lamour et Varga, 2020 ; Mazzoleni et Mueller, 2017), cette étude démontre que le contexte de la pandémie Covid-19 a favorisé un discours univoque érigeant la frontière comme un mur et comme une forme de bouclier.

Pour ce faire, de nouveaux schémas argumentatifs ont été mobilisés afin de (re)légitimer la frontière en tant qu’objet de de contrôle et de filtre permettant de protéger une patrie mise en danger par l’immigration et les dangers extérieurs. Ces discours ont été articulés autour de thématiques concernant la santé, la criminalité, le laisser-faire des politiques et la promotion de la souveraineté au travers de schémas argumentatifs axés sur la peur et les dangers, la responsabilité à entreprendre pour le bien commun, les comparaisons fallacieuses et la dramatisation par les chiffres.

Dans un deuxième temps, un autre résultat significatif émerge de cette étude ancrée dans un contexte de crise sanitaire : alors que la section cantonale de l’UDC genevoise a mobilisé un discours articulé entre autres sur la thématique de la santé, cela n’a pas été le cas pour le MCG. Au contraire, le parti a soutenu une stratégie d’évitement ; En temps normal, le MCG se mobilise très fortement sur des questions concernant les problématiques que génèrent les frontaliers. Une hypothèse est que le parti n’a pas mobilisé le thème de la santé en sachant pertinemment que dans un tel contexte de crise, les frontaliers ont incarné une main d’œuvre essentielle afin que le système de santé genevois ne s’effondre pas. Cette stratégie d’évitement consistant à évincer la thématique de la santé a donc permis au MCG de mener un discours dépourvu d’ambivalence et d'ambiguïté par une (re)légitimation univoque des frontières.

L’approche de l’analyse critique de discours
Les schémas argumentatifs des partis populistes de droite ont été analysés au travers de l’approche de l’analyse critique de discours (Reisigl et Wodak, 2001). Cette approche consiste à étudier les topics et les topoi adoptés dans les discours et utilisés dans la justification des pratiques d’exclusion et des dynamiques de pouvoir. Alors que les topics définissent les principaux thèmes abordés au sein d’un discours (dimension macro), les topoi représentent les stratégies d’argumentation utilisées pour investiguer le passage de l’argument à la conclusion (dimension micro).


Référence

Yerly G. (2022). Right-Wing Populist Parties’ Bordering Narratives in Times of Crisis : Anti-Immigration Discourse in the Genevan Borderland during the COVID-19 Pandemic. Swiss Political Science Review. DOI : https://doi.org/10.1111/spsr.12516

Sources

  • Biancalana, C. and O. Mazzoleni. (2020). Unifying and Multiplying the People: The Strategy of Ambiguity in National-Populist Discourse within a Cross-Border Area. Nationalism and Ethnic Politics 26(3): 279–98.
  • Jensen, O. and T. Richardson. (2004). Making European Space: Mobility, Power and Territorial Identity. London: Routledge.
  • Konrad, V., J. Laine, I. Liikanen, J. Scott and R. Widdis. (2018). The Language of Borders. In Brunn, S. and R. Kehrein (eds.), Handbook of the Changing World Language Map. Cham: Springer International Publishing (1–17).
  • Lamour, C. and R. Varga. (2020). The Border as a Resource in Right-wing Populist Discourse: Viktor Orbán and the Diasporas in a Multi-scalar Europe. Journal of Borderlands Studies 35(3): 335–50.
  • Mazzoleni, O. and S. Mueller. (2017). Cross-Border Integration through Contestation? Political Parties and Media in the Swiss–Italian Borderland. Journal of Borderland Studies 32(2): 173–92.
  • Norris, P. and R. Inglehart. (2019). Cultural Backlash: Trump, Brexit, and Authoritarian Populism. Cambridge: Cambridge University Press.
  • Observatoire Transfrontalier du Personnel de Santé (OTPS). (2019). Personnel de santé des établissements transfrontaliers - Résultats des travaux de l'observatoire franco-genevois des personnels de santé. Lyon: OTPS.
  • Office Fédéral de la Statistique (OFS). (2021). Analyse des révisions - Statistiques des frontaliers (STAF). Neuchâtel: FSO.
  • Reisigl, M. and R. Wodak. (2001). Discourse and Discrimination: Rhetorics of Racism and Antisemitism. London: Routledge.
  • Wodak, R. (2015). The Politics of Fear. London: SAGE Publications Ltd.