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L’alarmisme climatique ne convainc pas

Jonas Schmid, Isabelle Stadelmann-Steffen
16th January 2024

Les scénarios effrayants autour de la mort des forêts et du trou dans la couche d'ozone dans les années 1970 et 1980 ont stimulé l'action politique. Mais ce n'est pas le cas pour la crise climatique. Comment l'expliquer ? Le changement climatique présente une structuration du problème complètement différente.

Nous voilà aussi intelligents qu'avant : la forêt est toujours là, la peur d'une "catastrophe écologique d'une ampleur inimaginable", comme le disait le "Spiegel" en 1981, était réelle, mais la catastrophe n'a pas eu lieu.

La forte augmentation du cancer de la peau et de la cataracte, redoutée dans les années 1980 en raison de l'amincissement de la couche d'ozone, a pu être évitée (tout simplement) grâce à l'intervention courageuse de la politique internationale. Le changement climatique va-t-il donc, lui aussi, disparaître de lui-même ? Ce "discours" répandu d'une crise climatique à prendre au sérieux serait "totalement exagéré" et "vide de sens" ; nous nous en sortirions "comme pour le dépérissement des forêts" sans aucun dommage. D'autres répondent, agacés, que ce n'est "certainement pas aussi grave" que ce que les médias peuvent en dire.

Cette combinaison, d'une part, de succès dans la résolution des précédentes crises du climat ainsi que la non-réalisation des scénarios d'horreur dans les années 1970-80, d'autre part, ne contribua pas à rendre les avertissements des scientifiques crédibles. La catastrophe climatique pourrait ainsi ne pas se produire, comme le dépérissement des forêts, ou bien se résoudre "de soi-même" sans grande action menée par la Suisse, à l'image du trou de la couche d'ozone.

Amélioration de la santé

L'alarmisme a bien fonctionné lors des crises environnementales précédentes. Selon Luhmann, le succès de l'alerte "empêche de déterminer a posteriori si elle aurait été nécessaire". C'est un paradoxe : si l'on considère à quel point les avertissements passés semblent aujourd'hui exagérés, ils ont été très efficaces puisqu'ils ont entraîné une action politique. La science devrait-elle pour autant renoncer aux alertes par simple crainte d'être qualifiée d'"exagérée" ? Absolument pas : le lien de cause à effet entre les gaz à effet de serre et le changement climatique est clairement prouvé. Les faits sont même accablants : selon le Centre Oeschger pour les sciences climatiques de l'Université de Berne, la concentration de CO2 dans l'atmosphère est aujourd'hui 30 pour cent plus élevée que le maximum des 800'000 dernières années. Ne pas lancer l'alerte reviendrait donc à ignorer la situation réelle.

Même si l'alarmisme peut se ressembler dans les débats sur les crises environnementales passées et présentes, la différence en termes d'action politique est d'autant plus nette. Par exemple, le débat sur la mort des forêts a conduit à l'adoption de l'Ordonnance sur la protection de l'air (OPair, 1985) et à la définition de critères concernant le soufre dans les processus de combustion. La mort des forêts a poussé à l'élaboration et à l'adoption de la première loi fédérale sur l'environnement, entrée en vigueur en 1985.

Rétrospectivement, ces actes législatifs ont conduit à une amélioration significative de la santé humaine et des ressources naturelles. Aujourd'hui, les conséquences positives de la chute du rideau de fer sont également incontestées : il était impossible de prévoir à l'époque des mises en garde insistantes contre le dépérissement des forêts que la disparition des cheminées industrielles du bloc de l'Est entraînerait une amélioration massive de la qualité de l'air en Europe centrale.

En ce qui concerne le trou dans la couche d'ozone, c'est un article de recherche du Mexicain Mario Molina et de l'Américain Rowland (1974) qui a constitué l'alerte décisive - ils ont prouvé que les CFC utilisés dans les appareils de réfrigération, les sprays et les processus industriels réduisaient la couche d'ozone. En 1985, des chercheurs britanniques ont poursuivi en découvrant un trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique. Ils ont constaté que le rayonnement direct des UV avait le potentiel de nuire massivement à la vie sur terre. Il s'agit, là aussi, d'un tollé ; se répandit la crainte de voir des moutons devenir aveugles et de subir violents coups de soleil en très peu de temps.

Des objectifs ambitieux

Deux ans plus tard seulement, la communauté internationale a signé et ratifié le Protocole de Montréal, sans que la Suisse ne soit fortement impliquée. Avec les protocoles qui lui ont succédé, ce protocole prévoyait la réduction progressive de l'utilisation des CFC. Aujourd'hui, le trou dans la couche d'ozone se referme, mais très lentement.

En revanche, en ce qui concerne la crise climatique, l'alarmisme n'a jusqu'à présent guère entraîné d'action politique décisive. Au niveau international, le Protocole de Kyoto (1997) et l'Accord de Paris (2015) fixent des objectifs, mais sans régler leur mise en œuvre. L'adoption de mesures appropriées est du ressort des Etats parties à l'accord. Selon le Climate Action Tracker - un modèle de projection basé sur des méthodes scientifiques - les objectifs suisses sont certes ambitieux, mais les mesures existantes sont insuffisantes.

Mais le changement climatique représente aussi, à bien des égards, un défi fondamentalement plus complexe que la résolution des deux crises plus anciennes. Alors que le trou dans la couche d'ozone était principalement dû aux émissions de CFC d'un petit secteur de l'industrie (de la réfrigération) mondiale, tous les secteurs économiques ainsi que nos activités sociales émettent des gaz à effet de serre ayant un impact sur le climat. Si le dépérissement des forêts se limitait en grande partie à l'Europe centrale et à la Scandinavie, le changement climatique est une réalité mondiale décloisonnée qui ne concerne pas "seulement" la forêt ou le rayonnement UV, mais toutes les ressources naturelles, les hommes et les animaux.

En bref, il est beaucoup plus facile de réglementer un petit secteur industriel ou de convaincre un petit nombre de pays d'adopter des mesures efficaces que d'amener l'ensemble de l'économie et de la société, c'est-à-dire 193 pays au total, à abandonner le processus de combustion. Le changement climatique exige(rait) donc des mesures politiques beaucoup plus complètes que les deux crises environnementales précédentes et possède une structuration du problème complètement différente.

Dans les faits, le terme de "crise climatique", devenu un concept politique, sert surtout d'explication abstraite à l'accumulation de phénomènes naturels extrêmes déjà connus, comme la sécheresse, les inondations ou les incendies de forêt. Sans négliger la compassion pour les personnes déjà touchées, "seuls" quelques individus souffrent des conséquences directes des catastrophes naturelles jusqu'à présent en Suisse. Mais est-il "normal" que l'on doive déjà apporter de l'eau par hélicoptère aux vaches dans les alpages valaisans ? La difficulté fondamentale est ici d'ordre temporel : il est fort probable que les dommages causés aux ressources naturelles soient déjà devenus irréversibles d'ici à ce que le seuil de souffrance dans notre vie quotidienne soit atteint.

Nouvelle conception de la liberté

La raison de l'inaction politique est avant tout à chercher du côté de nous-mêmes : nous ne sommes guère disposés à accepter des restrictions. Cela s'est parfaitement illustré lors de la pandémie de coronavirus.

Cela va de pair avec une conception différente de la liberté, selon laquelle la liberté est aujourd'hui de plus en plus comprise comme l'absence de réglementation. Mais on oublie trop facilement que la liberté n'est possible que si l'on adhère aux règles de base de la société (dans un environnement vivable). Les interdictions sont désormais reléguées au second plan et ne constituent plus guère un instrument accepté par la société et la politique. L'Etat ne doit pas fausser la concurrence, se tenir autant que possible à l'écart des débats sur les valeurs plus fondamentales et tout au plus avoir une fonction d'incitation à travers le porte-monnaie des citoyennes et des citoyens. En réalité, la Suisse n'a même pas pu se résoudre à instaurer une incitation financière. Et là où l'on y est parvenu en théorie, cela ne fonctionne pas dans la pratique. Ainsi, la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles est largement inconnue de la population. Et ce qui n'est pas connu ne peut pas fonctionner.

La conclusion est limpide: la crise climatique exige des changements plus fondamentaux que les précédentes crises environnementales. Malgré tout, le seuil de souffrance qui pourrait déclencher de telles mesures n'est pas encore atteint. De plus, les citoyennes et citoyens qui ne voient l'État uniquement comme une plateforme demandent des restrictions pour "satisfaire passionnément leurs propres préférences". Mais l'État pourrait aussi être compris comme une "idée de communauté et d'appartenance" - reconnaissant que le bien-être personnel dépend de la réussite et du bien-être des autres. Ne sommes-nous réellement pas disposés à accepter des restrictions pour le bien d'autrui - entre autres celui de nos enfants ?

 

Remarque: cette contribution est parue dans une version légèrement modifiée le 9.12.2023 comme article d'invité dans la rubrique science du Tages-Anzeigers.


Références:

  • Luhmann, Niklas. Beobachtungen der Moderne. Wiesbaden: VS Verlag für Sozialwissenschaften, 1992, 151.
  • Molina, Mario J., und F. S. Rowland. “Stratospheric Sink for Chlorofluoromethanes: Chlorine Atom-Catalysed Destruction of Ozone.” Nature 249, 5460 (Juin 1974): 810–12.
  • Mildenberger, Matto, Erick Lachapelle, Kathryn Harrison, und Isabelle Stadelmann-Steffen. “Limited Impacts of Carbon Tax Rebate Programmes on Public Support for Carbon Pricing.” Nature Climate Change 12, 2 (Février 2022): 141–47.
  • Lepenies, Philipp. Verbot Und Verzicht: Politik aus dem Geiste des Unterlassens. Edition Suhrkamp. Berlin: Suhrkamp, 2022, 256. Voir aussi Keller, Christoph. “Lob Des Verbots.” Geschichte der Gegenwart (blog), 19 mars 2023. https://geschichtedergegenwart.ch/17840-2/.

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