1

Communication de campagne: Abandon des annonces de journaux au profit des médias sociaux

Michaela Fischer
6th February 2024

La communication de campagne digitale gagne en importance dans de nombreuses démocraties. En comparaison internationale, la Suisse est considérée comme un pays en retard dans ce domaine. En raison de son système et de sa culture politiques, les médias sociaux ont longtemps joué un rôle secondaire. Une nouvelle étude montre que les dynamiques de campagne ont changé : Alors que les annonces dans les journaux ont perdu de leur importance, la communication de campagne se déplace de plus en plus vers le numérique.

Le contexte de la démocratie semi-directe limite-il des campagnes en ligne plus intensives?

"Les réseaux sociaux sont faits pour les "visages", les individus et non pas pour les groupes ou organisations." (Klinger et Russmann, 2017, P. 308) – c'est ainsi que les responsables de campagne justifiaient dans les années 2010 leur faible présence sur les réseaux sociaux. Les votations en Suisse sont - à quelques exceptions près - peu personnifiées. Ce ne sont pas des individus qui se tiennent au centre de la discussion, mais plutôt des thèmes spécifiques qui sont pour la plupart mis en lumière par des partis politiques, des associations ou bien des organisations qui les approuvent ou les rejettent.

De plus, seule une petite partie de la population utilise les réseaux sociaux comme source d'information sur les votations à venir. Au lieu de cela, la plupart des citoyens continuent à s'informer via les médias traditionnels (VOTO, 2022). De plus, l'âge moyen de la population votante active est nettement supérieur à celui des utilisateurs classiques des réseaux sociaux.

Ces facteurs pourraient inciter les acteurs politiques à moins communiquer via les canaux numériques. Le contexte de démocratie directe et la culture politique en Suisse limitent-ils l'intensification de la communication de campagne dans l'espace numérique ? Est-ce que les partis, associations et organisations continuent plutôt à miser sur les canaux de communication traditionnels ?

Comment les pratiques de campagne ont évolué au fil du temps

C'est sur ces interrogations qu'une étude récemment publiée s'est penchée (Fischer, 2023). Pour ce faire, les annonces publiées dans six journaux nationaux et les publications sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook entre 2010 et 2020 ont été analysées. A l'approche d'une votation, les partis, associations et organisations publient des annonces dans divers journaux afin de convaincre les électeurs de leur position et de les mobiliser. Le nombre d'annonces dans les journaux donne une indication de l'intensité de la campagne de votation. Plus le nombre est élevé, plus la campagne est intense.

Le graphique suivant montre l'évolution du nombre d'annonces dans les journaux de 1981 à 2020. Jusqu'au milieu des années 2000, le nombre d'annonces publiées dans les journaux a légèrement augmenté, avant de diminuer fortement à partir de 2009.

Graph. 1: Nombre d'annonces de 1981 à 2020 dans les journaux Tages-Anzeiger, NZZ, Blick, Le Temps, Le Matin et La Tribune de Genève (avec courbe de tendance ainsi que point de bascule (2009)).

Graphique: Alix d'Agostino, DeFacto • Données: VOTO

Une explication possible de la forte baisse des annonces publiées dans les journaux tiendrait du fait que les acteurs politiques ont modifié leurs considérations stratégiques. Au lieu de miser sur des campagnes d'annonces gourmandes en ressources, les canaux numériques offrent une alternative moins onéreuse - en particulier pour les partis et les organisations disposant de moins de ressources et d'un public plus jeune ou ayant une plus grande affinité avec le numérique. D'autre part, il se pourrait que les acteurs politiques ne publient plus des annonces en premier lieu dans des journaux nationaux, mais de plus en plus dans des journaux régionaux et locaux ou dans des journaux en ligne.

Indépendamment du domaine vers lequel les acteurs politiques ont transféré les ressources qu'ils consacraient auparavant aux annonces dans les journaux, ils ont fortement développé leurs activités sur les réseaux sociaux. Le graphique 2 montre l'évolution du nombre de contributions sur les médias sociaux entre 2010 et 2020. Depuis 2015 en particulier, les contributions publiées en amont d'une votation ont fortement augmenté.

Graph. 2: Nombre de contributions sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) de 2010 jusqu'à 2020.

Graphique: Alix d'Agostino, DeFacto • Données: VOTO

La communication se déplace-t-elle vers le numérique ?

La communication des campagnes se déplace-t-elle donc de plus en plus du physique vers le numérique ? Pour examiner cette question, je m'appuie sur le concept de l'intensité de campagne. Dans son influent Ouvrage Direct Democratic Choice, Hanspeter Kriesi (2005) montre que l'intensité d'une campagne est liée au résultat escompté de la votation. Les partis, associations et organisations investissent davantage de ressources et publient plus d'annonces dans les journaux lors de votations pour lesquelles ils s'attendent à un résultat serré. En d'autres termes, plus le résultat de la votation est serré, plus l'intensité de la campagne est élevée - c'est-à-dire, plus le nombre d'annonces publiées dans les journaux est élevé.

Mais est-ce toujours le cas ? Les partis, associations et organisations continuent-ils à publier plus d'annonces lors de votations serrées que lors de votations au résultat plus clair ou utilisent-ils davantage d'autres canaux pour ce faire ? Trouvons-nous donc une continuité dans les pratiques de campagne ou bien les dynamiques ont-elles changé ?

Continuité ou évolution des dynamiques ?

Les dynamiques de campagne en Suisse ont considérablement changé. Alors qu'entre 1981 et 2000, les acteurs politiques ont publié nettement plus d'annonces dans les journaux lors de votations serrées que lors de votations au résultat plus clair (graph. 3(a)), ce n'est plus le cas entre 2001 et 2020 (graph. 3(b)). Les annonces dans les journaux ont perdu de leur importance en tant que canal de communication, en particulier au cours de la dernière décennie (2010 à 2020) (graph. 3(c)).

Parallèlement, de 2010 à 2020, les partis, les organisations et les associations ont publié significativement plus de contributions sur les réseaux sociaux lorsqu'ils s'attendaient à un résultat de vote serré (graph. 3 (d et e)).

Graph. 3: Prédiction du nombre d'annonces publiées dans les journaux de (a) 1981-2000, (b) 2001-2020 et (c) 2010-2020 ainsi que du nombre de contributions sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) de 2010-2020 selon des résultats de votations serrés et larges (le plus large = 0.5, le plus serré = 1.0).

Graphique: Alix d'Agostino, DeFacto • Données: VOTO

Recherche sur les campagnes numériques: nous n'en sommes qu'au début

Contrairement à l'attente selon laquelle la démocratie directe et la culture politique de la Suisse freinent l'intensification des campagnes en ligne, nous constatons que les dynamiques de campagne ont considérablement changé. A l'inverse des décennies précédentes, les annonces dans les journaux ont perdu de leur importance en tant que canal de communication, alors que, dans le même temps, les partis, les associations et les organisations transfèrent de plus en plus leur communication de campagne (aussi) vers l'espace numérique. Cela soulève diverses questions : Quels acteurs transfèrent davantage leur communication vers le numérique, lors de quelles votations et pourquoi ? Quelles sont leurs stratégies des acteurs politiques et adaptent-ils leur communication aux logiques de réseaux sociaux ? Quel est l'impact de ces changements sur les électeurs et électrices ? Qu'en est-il de leurs connaissances politiques et du processus de formation de l'opinion dans ce nouvel environnement ? Toutes ces questions montrent que la recherche sur la communication de campagne numérique et ses effets n'en est qu'à ses débuts.


Note: Cette contribution est un résumé de l'article suivant:

  • Fischer, M. (2023).  From newspapers to social media? Changing dynamics in Swiss direct democratic campaigns. Swiss Political Science Review29, 465–478. https://doi.org/10.1111/spsr.12578

Références:

  • Klinger, U. et Russmann, U. (2017). “Beer is more efficient than social media”—Political parties and strategic communication in Austrian and Swiss national elections. Journal of Information Technology & Politics, 14(4), 299-313. https://doi.org/10.1080/19331681.2017.1369919

  • Kriesi, H. (2005). Direct democratic choice. Lexington Books.

  • VOTO (2022). Etudes et données. https://www.voto.swiss/etudes-et-donnees/

L'article a été édité par Robin Stähli.

Image: flickr et homedust