Alors qu’il était candidat à la Maison-Blanche il y a 16 ans, Barack Obama avait reproché à son équipe de faire comme s’il n’était pas noir. Évidemment que c’est un enjeu, aurait-il dit. Seize ans plus tard, nous avons affaire à la première candidate afro-américaine à la présidence et une fois de plus, c’est un enjeu.
Je me souviens du célèbre commentaire qu’avait formulé un sondeur républicain du cabinet Trafalgar Group : les gens mentent à leur époux, à leur épouse, à leur comptable et à leur médecin. Pourquoi donc confieraient-ils à un inconnu au téléphone en toute honnêteté pour qui ils ont l’intention de voter ? Depuis plusieurs cycles électoraux consécutifs, les sondages aux États-Unis sont biaisés, et ce, avant tout parce que les intentions de vote pour Donald Trump ont été sous-estimées. Les électeur·rices ne voulaient pas avouer qu’ils comptaient voter pour quelqu’un qui, dans les médias, était présenté comme sexiste et raciste.
Depuis quasiment le début de l’année, je soupçonne que si Donald Trump s’en sortait aussi bien dans les sondages, c’était parce que tous les regards étaient tournés vers Joe Biden, le président en exercice, et parce que les sondeurs avaient enfin cessé de le sous-estimer. Maintenant que Kamala Harris est entrée dans le ring, le défi est tout autre. Elle fait l’objet d’un véritable engouement médiatique et tous les experts s’accordent à dire qu’elle a connu un bon début de campagne. Mais les électeurs et électrices sont-ils prêts à reconnaître qu’ils ne voteront pas pour la première candidate afro-américaine lors du scrutin présidentiel ?
C’est qu’il existe un phénomène qui a posé problème dans un passé récent et qui touche à la fois les experts, les journalistes et les sondeurs : l’effet de troupeau. Lorsque tout le monde a affirmé à la télévision qu’Hillary Clinton allait gagner (en 2016), que Trump serait massivement rejeté (en 2018), que les élections présidentielles ne seraient pas serrées (en 2020) ou que les démocrates n’avaient aucune chance de se maintenir à la Chambre des représentants (en 2022), il fallait du courage pour être à contre-courant ou même émettre tout doute à ce sujet.
Certains sondages récents ont fait état de scores pour Kamala Harris chez les électeurs blancs si élevés qu’ils ont même fait douter les commentateurs démocrates. Je ne dis pas que la vice-présidente ne peut pas remporter le scrutin. J’aurais même tendance à penser qu’elle part légèrement favorite à l’heure où j’écris ces lignes. Cependant, je ne croirai aux 42 % du vote blanc que lorsque je verrai ces résultats confirmés en novembre. La situation actuelle me rappelle l’élection du gouverneur de Floride de 2018, où se sont affrontés le démocrate Andrew Gillum et Ron DeSantis. Pendant la campagne, rares étaient les sondages qui ne montraient pas Andrew Gillum en tête. Et que s’est-il passé le jour J ? Il a perdu l’élection contre Ron DeSantis.
Pour l’heure, Kamala Harris et son équipe maîtrisent mieux la situation qu’Hillary Clinton en 2016, par exemple. À l’époque, j’avais le sentiment que cette dernière avait tout fait pour ignorer les hommes blancs non diplômés, qui continuent à représenter le plus grand bloc au sein de l’électorat. Point d’excès de confiance chez Kamala Harris : la vice-présidente a clairement interpellé la classe moyenne dans son discours d’investiture et en nommant Tim Walz colistier. Le mouvement des « White Dudes for Harris » (« Les mecs blancs pour Harris ») est une autre manifestation du travail fait pour prendre le taureau par les cornes.
Si les électeurs et électrices blanches taisent peut-être leurs véritables opinions face aux sondeurs, c’est aussi vrai de l’électorat noir, a fortiori des hommes noirs. Le travail de conviction n’est pas vraiment la spécialité de Donald Trump. On pourrait même dire qu’il a passé la plupart de son temps à la Maison Blanche à écœurer la majorité de l’électorat qui n’avait pas voté pour lui. Le peu d’efforts qu’il a fait pour tendre la main aux partisans de la coalition démocrate, c’était à l’intention des hommes noirs. Outre ses soutiens, ce travail est passé par sa réforme du droit pénal, projet qui a étonnamment bien porté ses fruits.
N’oublions pas que les élections présidentielles américaines ne sont de facto pas un scrutin national, mais une élection État par État . La dernière fois, Joe Biden avait une belle longueur d’avance sur Donald Trump dans les sondages nationaux, mais au bout du compte, l’issue du scrutin a été tranchée par moins de 50 000 électeurs dans trois États. Cette fois-ci encore, c’est dans le sprint final que se décidera la course.
Louis Perron, docteur en sciences politiques, est un conseiller en communication politique Suisse. Il a gagné des élections dans différents pays du monde et est l’auteur d’un nouveau livre, « Beat the Incumbent: Proven Strategies and Tactics to Win Elections ».
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Cet article a été édité par Robin Stähli, DeFacto. Une version antérieure et anglaise de cet article a été publié chez Newsweek.