Comment rendre les politiques climatiques électoralement populaires

L’un des principaux défis auxquels sont confrontés les gouvernements progressistes est de mettre en œuvre des politiques ambitieuses d’atténuation du changement climatique sans provoquer de sanctions électorales de la part des personnes affectées négativement. Ce research brief s’appuie sur des recherches récentes menées par les auteur·es et d’autres chercheurs·euses pour montrer que même des politiques climatiques drastiques peuvent obtenir un soutien électoral, y compris de la part de groupes improbables tels que les communautés liées à l’exploitation de mines de charbon.

Introduction

Compte tenu de l’urgence de la crise climatique, les gouvernements progressistes sont confrontés à des pressions croissantes pour mettre en œuvre des politiques climatiques drastiques qui s’alignent sur les objectifs de l’Accord de Paris et sur le Green Deal européen. Pourtant, ces politiques ne sont pas sans conséquences politiques et il est difficile pour les gouvernements d’entreprendre une action climatique sans risquer un retour de bâton électoral. Le défi est particulièrement important pour les gouvernements progressistes, qui ont tendance à promouvoir la justice socio-économique et la protection de l’environnement. Dans ce research brief, nous revenons sur ce défi et tirons des enseignements du cas espagnol sur la façon dont les politiques climatiques peuvent être conçues, présentées, négociées et encadrées de manière à accroître leur popularité électorale, avec un accent particulier sur les communautés liées à l’extraction de combustibles fossiles.

Les défis de la politique climatique

Obtenir le soutien des électeurs·rices pour des politiques rigoureuses d’atténuation du changement climatique reste un défi politique en raison des coûts immédiats élevés et de la nature incertaine des bénéfices à long terme. Les électeurs·rices sous-estiment souvent l’importance de l’atténuation du changement climatique parce que son objectif premier, la réduction du réchauffement de la planète, semble lointain et incertain. En outre, les incidences financières directes de la transition énergétique, telles que l’augmentation du coût des biens de consommation comme l’électricité et le carburant, aliènent encore davantage l’électorat, ce qui rend ces aspects de l’action climatique particulièrement controversés.

La concentration géographique des coûts de la politique climatique façonne profondément le soutien du public et les habitudes de vote. Les communautés dépendantes du CO2, comme celles qui sont liées à la production de combustibles fossiles, sont confrontées à des charges économiques disproportionnées et il est généralement important, d’un point de vue électoral, pour les gouvernements progressistes de répondre au mécontentement des électeurs et électrices dans ces régions, tandis que les partis d’opposition exploitent souvent ce mécontentement pour se mobiliser contre les initiatives climatiques en vue d’un gain électoral (Egli, Schmid et Schmidt, 2022).

Le cas espagnol

Nous nous appuyons sur nos recherches sur l’abandon progressif de l’exploitation du charbon en Espagne pour comprendre comment les décideurs·euses politiques peuvent atténuer les réactions politiques dans les communautés dépendantes des combustibles fossiles. Le Parti socialiste espagnol (PSOE), arrivé au pouvoir en 2018, a fait de la question de l’exploitation du charbon une priorité, en mettant l’accent sur la mise en œuvre d’une politique de transition juste. Ce concept de transition juste, qui porte sur la justice distributive et procédurale, vise à garantir que les travailleurs·euses et les communautés concernés bénéficient d’une sécurité financière et d’un accès digne à des moyens de subsistance alternatifs et durables.

Trois mois avant les élections générales de 2019, un accord de transition juste a été conclu dans le cadre d’un dialogue social tripartite impliquant les entreprises charbonnières, les syndicats et les actrices et acteurs politiques locaux et nationaux. Cet accord prévoit la fermeture de certaines mines de charbon d’ici à décembre 2019 et inclut un programme d’investissement de 250 millions d’euros pour les municipalités touchées. Les principales mesures comprennent des régimes de retraite anticipée pour les mineurs·euses, une aide sociale pour les jeunes mineurs·euses et des investissements au niveau communautaire dans la diversification économique, des initiatives économiques et la restauration de l’environnement.

Redistribution aux groupes affectés

Notre analyse montre que les packages politiques qui associent les politiques climatiques à des mesures de redistribution peuvent être attrayants pour les travailleurs·euses et les communautés particulièrement touchés dans les industries et les régions productrices de combustibles fossiles (Bolet, Green et González-Eguino, 2024a). Nous avons constaté que l’accord de transition juste a contribué à accroître le soutien des municipalités minières au PSOE, le parti au pouvoir, lors des élections suivantes, ce qui suggère qu’une politique de transition juste peut prévenir les contrecoups politiques dans les communautés affectées. Étant donné que les municipalités minières soutiennent traditionnellement davantage le PSOE, la fermeture d’une industrie régionale-clé aurait dû entraîner une perte de soutien. Au lieu de cela, nous avons constaté que les communautés minières ont récompensé le PSOE pour la mise en œuvre de l’accord de transition juste.

Nos conclusions complètent les résultats d’enquêtes montrant que les packages de mesures redistributives peuvent être populaires. Cependant, il faut reconnaître que les simples promesses de redistribution des politicien·nes et des partis politiques ne suffiront probablement pas à obtenir le soutien de la population pour des mesures climatiques ambitieuses. Le cas de l’Espagne résonne avec des recherches plus larges suggérant que le soutien populaire pour des mesures climatiques drastiques peut être plus efficacement construit lorsque les packages politiques sont conçus à travers des processus inclusifs et soigneusement communiqués au public.

Processus inclusifs et communication stratégique

Dans le cas de l’Espagne, les syndicats représentant les travailleurs·euses des mines de charbon ont joué un rôle-clé en tant qu’intermédiaires de confiance, contribuant à garantir la légitimité populaire de l’accord négocié sur la transition juste. Pendant et après les négociations, les syndicats ont organisé des assemblées locales pour informer leurs membres sur les négociations, le contenu de l’accord et la position des syndicats. Nous avons constaté que les municipalités minières fortement syndiquées étaient plus susceptibles d’enregistrer un soutien plus important du PSOE aux élections de 2019 que les municipalités minières moins syndiquées, un résultat concluant avec les résultats d’une enquête de suivi menée dans les mêmes communautés une semaine avant les élections générales de 2023 sur le soutien aux mesures du package (Bolet, Green et González-Eguino 2024b).

Malgré une communication stratégique sur la nécessité d’une transition juste, les politiques climatiques strictes ont également des effets potentiels sur les consommateurs·rices – en particulier celles et ceux à faible revenu – dans l’ensemble de l’économie. La politisation croissante des préoccupations relatives aux effets des politiques climatiques signifie que les partis progressistes doivent non seulement répondre aux préoccupations sous-jacentes en matière d’équité distributive et procédurale exprimées en réponse à la politique climatique, mais aussi mieux comprendre et répondre aux stratégies rhétoriques et informationnelles employées par les partis de droite radicale pour exploiter ces griefs.

Les partis de droite radicale présentent les politiques climatiques comme des fardeaux économiques qui nuisent aux gens ordinaires et/ou comme des projets idéologiques d’acteurs internationaux et d’une élite qui cherchent à contrôler la vie des citoyen·nes lambdas. Une étude que nous avons menée au Royaume-Uni montre que les personnes exposées au premier type de messages anti-climat, axés sur l’économie, étaient plus opposées aux politiques climatiques que celles exposées à des messages anti-climat formulés en termes anti-élitistes (Bolet, Gomm et Green 2024). Nous avons également vérifié si un cadrage contraire soulignant que les mesures climatiques s’accompagneraient d’avantages compensatoires atténuait les effets négatifs de l’exposition au cadrage négatif du « coût de la vie », ce qui n’a pas été le cas. Toutefois, il est nécessaire de poursuivre les recherches sur la formulation de la politique climatique avant de pouvoir tirer des conclusions définitives sur l’efficacité ou l’absence d’efficacité de ces contre-cadrages progressifs.

Conclusion

Les études examinées ici suggèrent globalement que les défis électoraux posés par l’élaboration des politiques climatiques, bien que substantiels, ne sont pas insurmontables, même dans les communautés productrices de combustibles fossiles. Les stratégies de transition juste, qui associent des politiques climatiques drastiques à une redistribution sectorielle et locale, négociée dans le cadre d’un dialogue social, peuvent être électoralement populaires dans ces communautés.

Les partis progressistes peuvent utiliser ces stratégies pour construire des coalitions de soutien à des packages de politiques climatiques ambitieuses qui unissent leurs électeurs·rices plus conscient·es du climat, urbain·es et professionnel·les, à leur base traditionnelle de la classe ouvrière. En bref, la politique climatique peut être politiquement populaire si elle est intégrée dans des packages plus larges de réformes progressistes et si elle est encadrée de manière réfléchie par des formes appropriées de dialogue social et d’engagement public.


Tiré de

Bolet, D., F. Green, et M. Gonzalez-Eguino. 2024a. “How to get coal country to vote for climate policy: The effect of a “Just Transition Agreement” on Spanish election results.” American Political Science Review, 118(3), 1344-1359.

Bolet, D., S. Gomm, et F. Green. 2024. Does Anti-Climate Rhetoric Drive Public Opposition to Climate Policy? Testing Socio-Cultural and Economic Frames, Working Paper.

Bolet, D. F. Green, et M. González-Eguino. 2024b. Long-Term Electoral Impact of Coal Country Just Transition Policies: Evidence from Spain, Working Paper.

Réference

Egli, F., N. Schmid, et T. S. Schmidt. 2022. “Backlash to fossil fuel phase-outs: the case of coal mining in US presidential elections.” Environmental Research Letters, 17(9), 094002.

 

Image: unsplash.com

Note: cet article a été édité par Robin Stähli, DeFacto.

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CatégoriesComportement politique, SériesThèmes
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