Le travail de plateforme : une réponse individuelle à l’échec des politiques sociales ?

Introduction

Le travail basé sur des plateformes internet permettant aux individus de vendre des services (comme Uber, Upwork, Deliveroo, etc.) s’est développé à des vitesses différentes selon les pays. Une explication convaincante de cette variation réside dans l’étendue et l’omniprésence du développement technologique, ainsi que dans le degré de tertiarisation de l’économie d’un pays. Il a cependant déjà été souligné que la technologie et les facteurs structurels économiques ne sont pas les seuls déterminants de l’expansion du travail sur plateforme.

En général, le travail de plateforme est caractérisé par une grande flexibilité. Celle-ci peut parfois être recherchée par les travailleurs, qui décident quand se mettre à disposition de la plateforme. Toutefois, les études sur le sujet suggèrent que souvent la flexibilité est plus subie que choisie, et que les personnes qui s’engagent dans le travail de plateforme ont en réalité peu d’alternatives. Il s’agit d’une forme de travail accessible, mais peu attrayante en termes de revenus, sécurité de l’emploi et protection sociale.

Dans notre étude, nous examinons l’impact des politiques sociales et éducatives sur l’expansion de cette forme de travail.

Démarche de recherche

Notre hypothèse générale est que les décisions de s’engager dans le travail sur plateforme dépendent de la disponibilité d’alternatives, et que la mesure dans laquelle les individus disposent d’alternatives dépend du succès des politiques sociales et éducatives à atteindre trois objectifs importants : 1) protéger les individus et les familles contre la pauvreté ; 2) permettre aux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale ; et 3) faciliter la transition de l’éducation à l’emploi.

Nous testons nos hypothèses en utilisant un échantillon de 21 pays européens. Nous avons obtenu la principale variable dépendante à partir de deux grandes enquêtes portant sur le travail sur plateforme, réalisées en 2018 et 2020 (connues sous les noms de COLLEEM II 2018 et ETUI IPWS 2020 ). Malheureusement, la Suisse ne fait pas partie de ces bases de données. Des données Suisses sur le travail de plateforme existent, récoltées par l’Office fédéral de la statistique, et font état d’une prévalence très faible de cette forme de travail. Ces données ne sont toutefois pas comparables avec celles que nous utilisons.

Résultats

Une analyse descriptive des données est présentée dans la Figure 1. Elle suggère que les régimes de protection sociale (ou d’autres institutions connexes) jouent un rôle dans l’explication des variations entre pays de la prévalence du travail sur plateforme. Dans les États-providence libéraux (Royaume-Uni, Irlande), on observe les taux les plus élevés de travail sur plateforme. En revanche, dans les pays nordiques, où les États-providence sont plutôt efficaces pour remplir les trois fonctions sur lesquelles nous nous concentrons dans notre étude, on observe la plus faible prévalence de ce type de travail. L’Europe de l’Est et du Sud se situent quelque part entre les deux, et les pays d’Europe continentale présentent des niveaux relativement bas de travail sur plateforme, à l’exception des Pays-Bas qui ont le taux le plus élevé. Nous pensons que les Pays-Bas pourraient être considérés comme une exception dans cette analyse, principalement en raison de l’importance historique du travail à temps partiel.

Figure 1. Prévalence du travail sur plateforme en Europe (en pourcentage de la population active), par pays

Graphique : Alix d’Agostino, DeFacto

Dans un deuxième temps, nous essayons d’identifier les facteurs qui expliquent les variations transnationales de la prévalence du travail sur plateforme. Parmi les trois hypothèses que nous examinons, c’est la troisième qui trouve le plus de soutien dans les données. La prévalence du travail sur plateforme est plus élevée dans les pays où il existe une plus grande inadéquation des compétences sur le marché du travail des jeunes ayant fait des études supérieures.

Dans l’ensemble, notre étude suggère que le travail sur plateforme n’est pas nécessairement un choix fait par des individus qui valorisent la liberté et la flexibilité inhérentes à ce type de travail. Au contraire, il peut également s’agir d’une réponse individuelle à la faiblesse des performances des politiques sociales et éducatives clés, en particulier celles qui sont censées faciliter la transition de l’école au travail.


Référence

Bonoli, G., Chueri, J., & Dimitri, C. (forthcoming). What drives the expansion of platform work ? In G. Grote, R. Guzzo, R. Lalive, & H. Nalbantian (Eds.), Interdisciplinary Foundations for Organizational Science and Application: A Dialogue between Psychology and Economics. Oxford University Press.

Image : unsplash.com

Note : cet article est tiré du neuvième Policy Brief de l’IDHEAP. Il a été édité par Robin Stähli, DeFacto.

 

 

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